Lectures, 20 juin 2022. À propos de SALMAN Scarlett, Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise, Presses de Sciences Po, 2021.
Si j’en crois mon expérience de lecteur, le travers est courant en sciences sociales : pour donner une cohérence ou du clinquant à ses découvertes, par goût de l’abstraction, ou peut-être pour rentabiliser de longues heures de lecture, le chercheur presse ses résultats dans le moule de théories toutes faites. Peu maniables, intimidants, ces gros blocs conceptuels sont souvent à peine discutés ou nuancés, même quand le matériau les contredit. Le plus clair du temps, ils aveuglent plus qu’ils n’éclairent les données durement glanées, à la manière d’une puissante source lumineuse placée non pas en surplomb d’un tableau mais juste à côté. En ligne ici.
Review of Johann Chapoutot, Free to Obey : How the Nazis Invented Modern Management, translation by S. Rendall, Europa Editions, 2023 (Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui, Gallimard, 2020). Review originally published in French in the Revue d’histoire moderne et contemporaine, Vol. 3, no. 67, 2020, pp.171-187.
Johann Chapoutot’s new book makes two main claims : not only that Nazism was a “managerial moment,” but also that it was “one of the seedbeds of modern management.” He fails to prove either of these hypotheses. The first part of the book describes a Nazism that is not particularly managerial, while the second describes a management that is not particularly Nazi. Regarding the “managerial moment” claim, Chapoutot focuses on just a handful of SS jurists whose ideas had more to do with military command than management, and whose influence on management seems minimal. As for the second claim, it relies on a flawed syllogism : an SS jurist becomes an influential management instructor in postwar Germany ; some elements of his managerial theory were already present in his pre-1945 writings ; therefore, management is tied to Nazism. In attempting to tackle a vast question, Chapoutot offers a history that is riddled with blind spots, partial, and sometimes even tendentious. (Article original en français.)
Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 3, n° 67, 2020, pp.171-187. À propos de CHAPOUTOT Johann, Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui, Gallimard, 2020.
Le livre défend deux thèses : le nazisme a été non seulement « un moment managérial », mais aussi « une des matrices du management moderne ». Ni l’une ni l’autre de ces thèses n’est cependant démontrée, la première partie du livre présentant un nazisme bien peu managérial, et la deuxième un management bien peu nazi. En fait de « moment managérial », J. Chapoutot ne s’intéresse qu’à une poignée de juristes SS dont les réflexions avaient davantage à voir avec le commandement militaire qu’avec le management, et dont l’influence dans le domaine managérial semble insignifiante. La seconde thèse, quant à elle, repose sur un syllogisme biaisé : un juriste SS devint un influent professeur de management dans l’Allemagne d’après-guerre ; or des éléments de sa théorie managériale étaient présents dans ses écrits antérieurs à 1945 ; donc le management est lié au nazisme. Face à une question immense, J. Chapoutot propose une histoire constellée d’angles morts, partiale et parfois même tendancieuse. (English translation here.)
La vie des idées, 8 mars 2019
Voté par l’Assemblée nationale en octobre 2018, le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) est actuellement examiné par le Sénat. C’est l’occasion de revenir sur la démocratie d’entreprise, qui vient de faire en France l’objet d’une abondante littérature. En ligne ici.
Esprit, mars 2018, dossier dirigé avec Thibaud Brière
Publié sous le titre « Généalogie de l’efficacité », in MUSSO Pierre (Ed.), L’Entreprise contre l’État ?, Paris : Manucius ; Nantes : Institut d’études avancées de Nantes, 2017, pp.163-172
Valorisée depuis au moins le siècle des Lumières, l’efficacité, ce principe cardinal de la rationalité instrumentale, est popularisée par les ingénieurs américains proches de Frederick Taylor, et aujourd’hui universellement célébrée par les modernisateurs de tout poil et les professionnels du coaching. Un regard sur l’histoire ancienne et sur les sociétés primitives suffit pourtant à montrer que l’efficacité n’a rien d’universel.
Paru dans la revue Cadres CFDT, n°471, décembre 2016, pp.73-79
Frederick Taylor n’est pas seulement le père de l’organisation scientifique du travail. Sa pensée infuse l’ensemble du management moderne, de la chaîne d’assemblage au coaching 2.0. En ligne ici.
Lectures, 15 septembre 2016. À propos de GRAEBER David, Bureaucratie. L’utopie des règles, Les Liens qui libèrent, 2015.
Disons le tout de suite : si David Graeber est un penseur original et souvent inspiré, son dernier recueil d’articles est un peu décevant. Loin de montrer l’érudition et l’esprit de synthèse qui faisaient la force de sa critique de la dette, il ne fait que rassembler, généralement sans les approfondir, des observations déjà présentes dans ses précédents ouvrages. La sortie très médiatisée de ce livre est l’occasion de discuter les thèses politiques de son auteur et les platitudes théoriques de son militantisme.
La suite En ligne ici.
La Découverte, janvier 2016
Regardons autour de nous. À quoi ressemble notre monde, sinon à un continuum fonctionnel d’appareils, d’organisations et de managers ?
Depuis un siècle, tandis que la critique vilipendait le capitalisme et l’État, la gestion, subrepticement, s’est immiscée partout.
Ainsi manageons-nous aujourd’hui les entreprises et leurs salariés, certes, mais aussi les écoles, les hôpitaux, les villes, la nature, les enfants, les émotions, les désirs, etc. La rationalité managériale est devenue le sens commun de nos sociétés et le visage moderne du pouvoir : de moins en moins tributaire de la loi et du capital, le gouvernement des individus est toujours davantage une tâche d’optimisation, d’organisation, de rationalisation et de contrôle.
Ce livre montre comment cette doctrine, forgée il y a cent ans par une poignée d’ingénieurs américains, a pu si rapidement conquérir les consciences, et comment l’entreprise a pris des mains de l’État et de la famille la plupart des tâches nécessaires à notre survie.
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Le Débat, n°183, janvier 2015, pp.75-86
Depuis une vingtaine d’années, de plus en plus d’ouvrages de coaching et de développement personnel recommandent à leurs lecteurs de se gouverner selon les principes du management. L’entreprise devenue l’institution cardinale des sociétés occidentales, conseiller aux individus de se rationaliser, de s’organiser, de se contrôler et de s’optimiser est peut-être, en effet, un bon service à leur rendre.
Conférence à l’ENS le 26 mai 2014, journée d’études « Mesurer la qualité de la vie dans la cité et au travail : projet gestionnaire ou phénomène démocratique ? »
L’analyse d’un programme de développement personnel commercialisé par le coach américain Anthony Robbins montre en quoi il incite ses usagers à la quantification des différents aspects de leur existence, aux fins d’une qualité accrue de celle-ci. Au-delà de cette injonction à l’auto-quantification, de nombreux ouvrages de coaching de vie et de développement personnel édités depuis une vingtaine d’années aux États-Unis (et dans une moindre mesure en France) tendent à prescrire des modes de gouvernement de soi calqués sur le modèle du management d’entreprise.
Economies et sociétés, Tome XLVIII, n°1, janvier 2014, pp.5-34
À la lumière d’une étude lexicale et historique des usages du terme « management » par des auteurs anglais et américains depuis la fin du XVIIIe siècle, il apparaît que le principe de profit n’est pas un opérateur théorique privilégié par les penseurs de cette notion. Le management ne serait pas par nature à but lucratif. Bien au contraire, ce concept semble avoir été construit sémantiquement, depuis la fin du XVIIIe siècle, dans le rejet du référentiel marchand. L’efficacité, bien davantage que le profit, constitue le principe directeur de la rationalité managériale. Plutôt que de naturaliser cette notion d’efficacité et de l’introniser mètre-étalon universel des phénomènes organisationnels, il fait sens d’analyser comment et pourquoi elle en est venue à être socialement valorisée au sein des sociétés industrielles.
A historical and lexical study of the uses of the word “management” by English and American authors from the end of the 18th century reveals that the principle of profit does not constitute a major conceptual framework for the early thinkers of management. Management would not be, by nature, a for-profit activity. On the contrary, this concept seems to have been semantically built, from the end of the 18th century, upon the rejection of the market reference. Efficiency, much more than profit, is the leading principle of managerial rationality. Rather than naturalizing this notion of efficiency and making it the universal yardstick of organizational phenomena, it makes sense to analyze why and how it came to be highly valued within industrial societies.
Homo Œconomicus, Volume 30, Issue 1, 2013, pp.101-120
At the end of the 19th century, the everyday activities of developing corporations modified the usual field of economic investigations. Nevertheless, economists were slow off the mark and seemed reluctant to give a proper place to this new player in their theoretical schemes. Thorstein Veblen and John R. Commons offered the first comprehensive history of the modern business firm. Little interested in the anatomy of the corporate leviathan, they rather sounded out its soul and analyzed its double-sided spirit, both pecuniary and industrial.
Mars 2013, à propos de HIBOU Béatrice, La Bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, 2012.
Le dernier ouvrage de B. Hibou est une exploration sociologique du pullulement normatif qui accompagne l’essor du néolibéralisme depuis une trentaine d’années. Si les cas étudiés sont éclairants, on peut regretter quatre partis pris de méthode : l’assimilation de la bureaucratie à un phénomène essentiellement capitaliste ; la focalisation sur l’ère néolibérale ; une conception trop strictement régalienne de la bureaucratie et du pouvoir ; et la minoration des dimensions symboliques et culturelles de la bureaucratie.
Les Cahiers de la sécurité, n°23, mars 2013, pp.158-165
Depuis le XVIe siècle, la croissance des États européens s’est accompagné de la sédimentation d’une rationalité gouvernementale spécifique, que nous appellerons la rationalité régalienne. Ce mode de gouvernement s’articule aux principes de justice, de légalité, de souveraineté, de sécurité, de centralisation et d’unité. À la fin du XIXe siècle, une rationalité gouvernementale nouvelle apparaît qui va être mobiliser pour penser et diriger les Etats européens et américain. Cette logique de gouvernement s’ordonne aux principes d’organisation, de planification, de contrôle, de comptabilité et d’efficacité. Nous la nommerons la rationalité managériale. L’extension de ce nouvel entendement du pouvoir tout au long du XXe siècle participe de la désacralisation croissante de l’État. Durant les trente dernières années, le pré carré traditionnel de la souveraineté s’est trouvé de plus en plus soumis à cette logique gestionnaire. Ainsi résumée, la distinction entre le principe régalien de justice et l’impératif managérial d’efficacité peut paraître un peu schématique. L’examen du cas de la police et de son rapport ambivalent au droit et à l’efficacité nous permettra de nuancer cette opposition.
Gérer et comprendre, Annales des Mines, mars 2013, n°111, pp.60-74
Avant même que le terme de « management » ne soit usité au sein des entreprises privées, manager signifie arranger selon des normes objectives et dans un but d’ordre et d’efficacité. Dès la fin du XVIIIe siècle, cette notion désigne communément la régularisation des comportements au moyen d’agencements conçus selon des mesures et des calculs précis. Les ingénieurs industriels se réclamant du management scientifique s’inscrivent directement dans ce sillage lorsqu’ils entreprennent, à la charnière des XIXe et XXe siècles, d’organiser selon de tels dispositifs prétendant à l’objectivité les environnements de travail, les étapes de la production, la circulation de l’information et les structures hiérarchiques. Les théoriciens du management qui leur ont succédé ont étendu le champ d’application des dispositifs de gestion à la structure sociale des organisations et à la subjectivité des individus. Ils ont de ce fait confirmé l’importance du principe d’arrangement pour penser le management et avoué inconsciemment leur dette à l’égard des auteurs d’ouvrages de management des fermes et des foyers qui œuvraient au XIXe siècle.
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Working Paper, October, 2012
Alfred Chandler’s work is of cardinal importance in understanding the emergence and growth of business corporations. Its central thesis can be summarized as follows : management follows structure, structure follows strategy, and strategy follows the dynamics of technology and markets. In a word, technology and markets, more than any other factor, shape a firm’s methods of managing. My research will attempt prove that, though the structure of a business enterprise can be conceived as a response to a given stage of technology and of market expansion, management cannot.
Document de travail, oct. 2011
Pierre Legendre a problématisé le management à la lumière de la pensée juridique chrétienne. Je défends pour ma part que la rationalité gestionnaire institue les individus selon un mode spécifique. Lire en ligne.
Working Paper, February 2012, 19 p.
From the beginning of the 1970s, Michel Foucault works on power. Repressing, ruling, dominating : the discipline, his first developed conception of power, is an essentially negative mechanism. By the mid-70s, Foucault strives to escape the binary and overbearing conception of power he inherited from the theories of sovereignty. He thus balances and nuances this understanding. The power then no longer takes the shape of the prison panopticon, but that of the government - in the narrow sense of State activity, and in the broad sense of a behavioural technology applied to free individuals. Yet, until his death, he remains encumbered by this regal rationality whose influence on the contemporary understanding of power he continues to criticize. Among the main notions he elaborates to cut off the king’s head, the concept of governmentality stands as the most drawn upon today. It is time for management thinkers and historians to seize it and develop a thorough theory of the managerial governmentality, rather than simply focus on the panopticon, subjectivation processes and the power/knowledge paradigm. Far from using the Foucault tool-box as an intellectual straitjacket, management students should use it as a liberating set of sketches to be questioned, complemented, and diverted if necessary.
Key-words : Foucault, discipline, governmentality, management
Journal of Management History, Volume 19 Issue 2, 2011, pp.189-224
Since its appearance in the English language in the 16th century and until the beginning of the 20th century, the word “management” did not mean primarily “business management.” From the time when its use become frequent, in the middle of the 18th century, five generic types of literature make a repetitive use of the notion : these are texts on husbandry, medical care of the mother and of the infant, household administration, school supervision and engineering. While those uses are very diverse, when considered as a whole all these subject matters show coherence in their common definition of the term “management,” which could be summarized as : caring, making efficient , driving, systematizing, and calculating. This broad characterization of the word “management” was not an explicit reference for business management practitioners and theoreticians at the end of the 19th and at the beginning of the 20th century, but rather the mental foundation upon which mechanics, engineers, and accountants chose to build their own concept of the notion. From a global overview of this early discourse on management, we draw a hypothesis on the symbolic and institutional causes of the appearance of modern management.
Presentation of my PhD research, 6 p.
In the eighteenth and nineteenth century, the notion of “management” takes a first meaning within a coherent set of concepts - care, industry, arrangement, conduct and calculation - which articulation draws a new way of thinking. At the beginning of the twentieth century, while the business corporation slowly emancipates from the family sphere, this rationality is redefined on the basis of four main general principles : efficiency, organization, control, and knowledge. This second managerial rationality shows, throughout the twentieth century, a unity and a stability that are of a nature neither scientific nor ideological. This rationality cannot be understood by the yardstick of the military discipline, of the patriarchal authority, of the instrumental rationality proper to the engineers, or of the capitalist rationality proper to the economists, for the very reason that it is formulated largely in reaction to these four rationalities. Precisely, the second managerial rationality constitutes a new understanding of the way of governing individuals, which we call a “governmentality”, in way slightly different from Foucault. This managerial governementality cannot be fitted into a unique organisational frame, but circulates between different institutions, the most prominent of which being the family, the business corporation and the state. The study of this new governmentality is the occasion to question the main views of government prevailing on both sides of the Atlantic for a century and a half, and thus to contributes to clarifying the contemporary ways of thinking about power.
Key-words : history, management, rationality, governmentality, institution
Working Paper, February 2012, 16 p.
The paper sketches the nature and the logic of the discourse on household administration in America from 1820 to 1920. Using a hermeneutic approach, it reveals how this literature insists on measuring for efficiency rather than on accounting for profit, and thus unveils understandings of management science and economics different from the ones prevailing nowadays. Finally, this study invites to understand this literature not mainly as an instrument for the male oppression of women but as a way for them of escaping tradition.
Key words : household management, economics, accounting, women’s emancipation
Dissensus, n°4, avril 2011, pp.49-69
A partir du XVIe siècle, une rationalité régalienne charpente l’imaginaire gouvernemental européen. Tout en se structurant conceptuellement et pratiquement, notamment autour de l’administration du droit et de la justice par un Etat centralisé, cet art de gouverner régalien est travaillé par des éléments doctrinaux qui s’agrégent au XXe siècle pour former une rationalité gouvernementale nouvelle : la rationalité managériale, qui s’ordonne aux principes d’organisation, de planification, de contrôle, de comptabilité et d’efficacité. L’extension de cette nouvelle logique de gouvernement tout au long du XXe siècle participe de la désacralisation croissante de l’Etat. Durant les vingt dernières années, le pré carré traditionnel de la souveraineté s’est trouvé de plus en plus soumis à cette logique gestionnaire. Le glissement d’un critère décisionnel reposant sur le principe de justice à un standard articulé à l’impératif d’efficacité constitue un révélateur de ce changement de paradigme gouvernemental. Bien des explications tautologiques ont depuis entrepris de comprendre la progression de l’axiomatique managériale par son efficacité. A l’inverse j’entends ici indiquer comment et pourquoi le critère d’efficacité lui-même en est venu à supplanter les référentiels de jugement hier et avant-hier privilégiés, tels que l’ancienneté, la force, la bonté, l’égalité, la liberté, la légalité et la justice. En ligne sur le site de Dissensus.
Revue de philosophie économique, Volume 12, numéro 2, pp.53-85
A partir du début des années 1970, Michel Foucault travaille sur le pouvoir. Réprimer, réglementer, dominer : la discipline, sa première conception élaborée du pouvoir, est un mécanisme essentiellement négatif. Foucault semble alors peiner à s’extraire de la conception binaire et dominatrice du pouvoir qu’il a héritée des théories de la souveraineté. Dès le milieu des années 70, il nuance et rééquilibre cette vision. Le pouvoir ne prend plus dès lors la figure du panoptique carcéral mais celle du gouvernement - au sens restreint d’activité de l’Etat et au sens large de technologie comportementale s’appliquant à des individus libres. Mais de nouveau, notre auteur se trouve encombré par cette rationalité régalienne dont il ne cesse de critiquer l’emprise sur les entendements contemporains du pouvoir. A trois exception près : la première, c’est le pastorat chrétien ; la seconde, c’est le gouvernement de soi tel qu’il est formulé par les Anciens ; la troisième, c’est la gouvernementalité managériale, que Foucault ne fait qu’esquisser très brièvement et très incomplètement et que je m’emploierai à problématiser ici.
Février 2009, 20 p.
Aujourd’hui honoré dans le monde anglophone, l’historien et philosophe britannique Michael Oakeshott (1901-1990) est quasiment méconnu en France. Sa pensée présente l’intérêt de procéder par polarisation des concepts, des pratiques et des phénomènes : plutôt que de tenter leur impossible cartographie, elle les étire entre leurs deux tendances les plus extrêmes dont sera nécessairement composé tout ce qui se trouvera entre. Appliquant cette dialectique bipolaire aux domaines de la connaissance, de la morale et plus généralement de la politique depuis la fin du Moyen Age, notre auteur fait dialoguer front à front un rationalisme entreprenant et une philosophie réflexive, les politiques de la foi et du scepticisme, une morale du collectivisme et une autre de l’individualité, puis collige l’ensemble sous les espèces de l’« association d’entreprise commune » et de l’« association civile ». Son entendement de la politique non comme ingénierie institutionnelle mais comme activité de gouverner le conduit à placer le management au cœur de sa réflexion politique, et par là même, tout en critiquant le rabougrissement de la pensée politique en une doctrine de gestion, à proposer une analyse des pratiques de gouvernement préfigurant celle de Michel Foucault.