Critique, tome 56, n°882, 2020, pp.952-968, à propos de HARCOURT Bernard E., La Société d’exposition : désir et désobéissance à l’ère numérique, trad. de S. Renaut, Seuil, 2020 [2015], et The Counterrevolution : How Our Government Went to War against Its Own Citizens, Basic Books, 2018.
La Société d’exposition part d’un constat qui ne devrait plus surprendre depuis les révélations d’Edward Snowden, en 2013 : « Notre envie de publier des selfies sur Instagram et des commentaires sur Facebook, de faire des recherches sur Google, d’acheter sur Amazon, de regarder des films sur Netflix et des vidéos sur YouTube alimente sans qu’on le veuille les mécanismes de surveillance des GAFA, de la NSA, de la DGSE et des services de renseignement du monde entier » (p. 252). Son originalité est d’essayer de lier cette surveillance généralisée à deux réalités en apparence très éloignées : d’un côté une économie du désir, de l’autre les politiques répressives menées aux États-Unis depuis le 11-Septembre. L’ambition est très louable, mais la démarche intellectuelle n’a pas toujours la rigueur qui rendrait la démonstration convaincante.
La vie des idées, 20 février 2017. À propos de Jean-Philippe Robé, Le Temps du monde de l’entreprise. Globalisation et mutation du système juridique, Dalloz, 2015.
Si l’entreprise n’a pas d’existence juridique, elle a su détourner le droit des individus à son profit et elle constitue en soi un système légal autonome. Ces trois thèses forment le cœur d’un recueil d’articles en français et en anglais de l’avocat et enseignant à l’École de droit de Science Po Jean-Philippe Robé. À lire ici. (Article paru sur le site laviedesidees.fr le 20 février 2017 et repris dans CHAVAGNEUX Christian et LOUIS Marieke (Ed.), Le Pouvoir des multinationales, Paris : PUF ; Vie des idées, p. 55-61.)
Mars 2013, à propos de HIBOU Béatrice, La Bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, 2012.
Le dernier ouvrage de B. Hibou est une exploration sociologique du pullulement normatif qui accompagne l’essor du néolibéralisme depuis une trentaine d’années. Si les cas étudiés sont éclairants, on peut regretter quatre partis pris de méthode : l’assimilation de la bureaucratie à un phénomène essentiellement capitaliste ; la focalisation sur l’ère néolibérale ; une conception trop strictement régalienne de la bureaucratie et du pouvoir ; et la minoration des dimensions symboliques et culturelles de la bureaucratie.
Interdépendances, n°84, janvier-février-mars 2012, pp.53-55
Durant les trente dernières années, le pré carré traditionnel de la souveraineté s’est trouvé de plus en plus soumis à la logique gestionnaire. Le glissement d’un critère décisionnel reposant sur le principe de justice à un standard articulé à l’impératif d’efficacité constitue un révélateur de ce changement de paradigme gouvernemental. Lire l’article
Presentation of my PhD research, 6 p.
In the eighteenth and nineteenth century, the notion of “management” takes a first meaning within a coherent set of concepts - care, industry, arrangement, conduct and calculation - which articulation draws a new way of thinking. At the beginning of the twentieth century, while the business corporation slowly emancipates from the family sphere, this rationality is redefined on the basis of four main general principles : efficiency, organization, control, and knowledge. This second managerial rationality shows, throughout the twentieth century, a unity and a stability that are of a nature neither scientific nor ideological. This rationality cannot be understood by the yardstick of the military discipline, of the patriarchal authority, of the instrumental rationality proper to the engineers, or of the capitalist rationality proper to the economists, for the very reason that it is formulated largely in reaction to these four rationalities. Precisely, the second managerial rationality constitutes a new understanding of the way of governing individuals, which we call a “governmentality”, in way slightly different from Foucault. This managerial governementality cannot be fitted into a unique organisational frame, but circulates between different institutions, the most prominent of which being the family, the business corporation and the state. The study of this new governmentality is the occasion to question the main views of government prevailing on both sides of the Atlantic for a century and a half, and thus to contributes to clarifying the contemporary ways of thinking about power.
Key-words : history, management, rationality, governmentality, institution
Dissensus, n°4, avril 2011, pp.49-69
A partir du XVIe siècle, une rationalité régalienne charpente l’imaginaire gouvernemental européen. Tout en se structurant conceptuellement et pratiquement, notamment autour de l’administration du droit et de la justice par un Etat centralisé, cet art de gouverner régalien est travaillé par des éléments doctrinaux qui s’agrégent au XXe siècle pour former une rationalité gouvernementale nouvelle : la rationalité managériale, qui s’ordonne aux principes d’organisation, de planification, de contrôle, de comptabilité et d’efficacité. L’extension de cette nouvelle logique de gouvernement tout au long du XXe siècle participe de la désacralisation croissante de l’Etat. Durant les vingt dernières années, le pré carré traditionnel de la souveraineté s’est trouvé de plus en plus soumis à cette logique gestionnaire. Le glissement d’un critère décisionnel reposant sur le principe de justice à un standard articulé à l’impératif d’efficacité constitue un révélateur de ce changement de paradigme gouvernemental. Bien des explications tautologiques ont depuis entrepris de comprendre la progression de l’axiomatique managériale par son efficacité. A l’inverse j’entends ici indiquer comment et pourquoi le critère d’efficacité lui-même en est venu à supplanter les référentiels de jugement hier et avant-hier privilégiés, tels que l’ancienneté, la force, la bonté, l’égalité, la liberté, la légalité et la justice. En ligne sur le site de Dissensus.
Document de travail, janvier 2010, 11 p.
Dans les démocraties de marché, les organisations de la société civile sont devenues une forme majeure d’action et d’expression publique. En dépit d’une idée fort répandue, ces associations ne peuvent, dans leur grande majorité, prétendre au titre de contre-pouvoir. Et s’il en est ainsi, ce n’est pas qu’elles ont été assujetties par les pouvoirs publics ou économiques. Elles ont bien plutôt coproduit leur institutionnalisation, condition de leur survie et de leur croissance. Ce que démontre un examen des deux grandes formes de mobilisations associatives ayant eu lieu dans le giron des Nations unies et du G8 : la contre-expertise et le contre-sommet.